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Lettre ouverte aux élus de demain
1.06.2010

Le pouvoir convoité


Étymologiquement, la politique est la science qui traite des affaires de l'État, de sa structure et de son fonctionnement. Malheureusement, nombreux sont les élus de notre pays dont les narines sont sensibles au fumet de la poêle à frire et qui, à force de s'en approcher un peu trop près, finissent par se bruler. Nombreux sont ceux qui limitent la portée de la « politique » à une pratique du pouvoir, avec ses luttes, ses intrigues et ses compromis et oublient la dimension humaine qui voudrait que l'intérêt collectif prévale sur leurs intérêts personnels, que les libertés de chaque individu soit préservées, et que la justice soit rendue.


Il ne se passe pas un jour sans que la presse se fasse l'écho de mouvements de grogne divers: Les parents voudraient plus d'équité quant à l'acceptation de leurs enfants dans les écoles, les adolescents revendiquent à coups de pierre un regard plus compatissant sur leur désarroi, les agriculteurs crient leur détresse aux travers d'actions diverses, les grèves et les contestations se succèdent pour une augmentation de salaire ou pour le maintien d'emplois menacés. En filigrane, je perçois que toutes et tous recherchent à être reconnus par tous les moyens qui soient en criant bien fort à qui veut l'entendre leur solitude et leur détresse.

Mais voilà: d'un coté il y a le peuple, et de l'autre ceux qui se partagent le pouvoir, qui sont les plus grands bénéficiaires du système et qui tentent de modeler les individus en fonction de la loi plutôt que d'adapter la loi aux hommes, aux femmes et aux enfants. Par défaut de prévoyance, les entrepreneurs se sont emparé des leviers de décision économique. Perdre son emploi ne devrait pas être un drame. Le monde bouge et il est indispensable de bouger avec lui : Il y a les entreprises qui licencient pour survivre, pour se restructurer en fonction des nouveaux défis... mais il y a aussi ceux qui licencient pour engranger plus de revenus en prétextant la crise dont ils ont été les artisans.


Des entrepreneurs audacieux exploitent de nouveaux créneaux et les imaginent parfois. Les technologies nouvelles sont des secteurs à haute densité de main d'œuvre pour les pèlerins de l'emploi. Là où le bât blesse, c'est que les ministres ont créé un précédent en acceptant de subventionner les entreprises en difficulté, ces entreprises à haute densité de main d'œuvre qui, de toute façon, finirent quand même par disparaitre.


Depuis la fin des Golden Sixties, on a mené une politique essentiellement sociale en oubliant la réalité économique et les « plans » ont envahi notre univers comme des doryphores sur une pom-me de terre. Comme les recruteurs d'aujourd'hui n'ont pas un coeur aussi large qu'ils ne vou-draient le laisser paraitre, ils attendent que l'Etat paie un tribut dès l'engagement de chaque tra-vailleur. Le travailleur doit impérativement entrer dans un plan. Tout le monde n'est donc plus égal devant l'emploi.


Les employeurs sont devenus les maitres du jeu, et nos ministres — nommés par les chefs de parti et non élus — tentent de les séduire.
C'est ainsi qu'ils sauvent de la faillite des hommes fortunés et responsables de la crise ou des so-ciétés morales qui auraient du disparaitre, en insufflant plusieurs milliards d'euros d'argent public qui ne créent ni ne sauvent aucun emploi. Ils maintiennent juste l'emploi, … mais pour combien de temps? Que d'emplois auraient pu être crées si ... ?


L'intervention de l'état est nocive à la seine concurrence, raison pour laquelle l'État-Providence fut remplacé par l'État Social Actif. Et pourtant, on a abandonné les bonnes résolutions lors du dernier crash boursier tandis que, pendant cette période, 7000 entreprises sont tombées en failli-te et n'ont obtenu aucune intervention.


Le chômeur, coupable aux yeux du monde….


Lors des licenciements pour restructuration, les seuls travailleurs qui font l'effort du redressement de l'entreprise sont les travailleurs licenciés dont l'avenir est précaire. Ils sont lâchés par leur organisme syndical qui continue à encaisser les cotisations. Ils perdent leur pouvoir d'achat, sont exclus du fruit de la croissance, sont mis au banc de la société et cette fragilité les rend vulnérables.


On vit, dit-on, au travers du regard des autres. On y lit trop souvent une condamnation. Le chômeur est coupable aux yeux du monde. Les critiques fusent jusque dans son propre ménage, les angoisses l'assaillent, le divorce est envisagé comme solution à court terme et la dépression guette. Ses fournisseurs de service lui envoient les huissiers: les petites dettes deviennent des montants insupportables, engendrent des situations ingérables et les propulsent dans la spirale du surendettement.


Il doit s'adapter à sa nouvelle situation. La vente de son logement — travail de toute une vie — devient indispensable.
La chasse aux chômeurs orchestrée par l'ONEM, avec la complicité des régions .. et des délateurs de plus en plus nombreux, les « facilitateurs » qui jouent au juge d'instruction, la sanction qui tombe avant un quelconque jugement … me font penser à des méthodes d'un autre âge que l'on croyait révolues.


Et la démocratie alors !  

 

         une illusion


"Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple": C'est ainsi qu'Abraham Lincoln définissait la démocratie. Gravé dans son imaginaire depuis des lustres, la population adhère en masse à ce système et ce rend peu compte — ou ne veut pas se rendre compte — de ce qui, aujourd'hui crève les yeux : Nos représentants ne sont plus au service du peuple mais plus précisément au service de l'économie et du capitalisme (dont ils deviennent les esclaves). L'Etat est une vaste gestion de fortune qui se soucie peu du devenir du peuple. Mais comment en est-on arrivé là?


D'abord parce que l'essence du pouvoir se modifie considérablement: Le progrès pour tous, l'égalité, la liberté la fraternité, devrait être l'objectif de nos dirigeants, mais ces derniers ont mis en place un système hiérarchique de pouvoir — par essence inégalitaire — qui va à l'encontre de ce bel idéal , alors que dans le même temps l'essence même de la démocratie n'a pas évolué d'un iota.


L'expression de la démocratie se résume à glisser spasmatiquement un bulletin de vote dans une urne, ce qui constitue une abdication pure et simple de souveraineté. Les quelques personnes élues décident d'une manière autonome de la meilleure gouvernance à leurs yeux en fonction d'intérêts qui sont de moins en moins ceux des électeurs, mais plutôt ceux de groupes de pression représentés par des personnalités morales. Il en va de même, au sein d'un parti. Les membres ou les élus élisent la présidente, et puis ils sont écartés de la gouvernance au profit de quelques personnes savamment choisies en fonction de critères parfois peu louables.


Le markéting politique enseigné dans les facultés est fondé sur le principe de la souveraineté de l'opinion. C'est l'art de dire au peuple, avec des mots choisis, ce qu'il souhaite entendre pour légitimer le mandat de faire ce que les mandataires veulent. Les suffrages reposent donc sur des slogans mensongers et …. sur des sondages, et aucune obligation de résultat n'a jamais été envisa-gée.


          Un leurre


La démocratie est le système qui fait le mieux croire au peuple qu'il est libre alors que les faits démontrent quotidiennement que c'est le moyen le plus efficace de l'asservir en obtenant son consentement. Les citoyens ont de plus en plus l'impression d'être cantonnés dans un rôle de spectateur et ce, dès leur passage aux urnes où on leur propose, comme au supermarché, le choix entre plusieurs candidats qu'ils n'ont pas choisis et entre plusieurs produits desquels ils n'ont pas contribué à l'élaboration.


Le système social belge, le meilleur du monde parait-il, leur permet de maintenir le peuple dans un assistanat récurrent grâce à des montages particulièrement astucieux qui permettent à certains de percevoir des indemnités sociales à vie alors que d'autres en sont cruellement privés, d'engranger des salaires démesurés alors que d'autres sont exclus artificiellement du système éco-nomique, de jouir de pensions astronomiques alors que d'autres sont contraints de se contenter de pensions de survie…. . La contribution à l'effort collectif et le partage des richesses sont loin d'être équitables.


Que de martyrs souffrent et meurent chaque seconde au nom d'un règlement de compte politique, que de promesses sciemment mensongères ne sont-elles émises, que d'oppressions font ployer à chaque minute les épaules des plus vigoureux.


La démocratie devrait en principe refléter la volonté des citoyens et permettre à chacun d'eux d'en recueillir les fruits, mais le fossé continue à se creuser entre les assoiffés de pouvoir et les assoiffés de justice. Les plus défavorisés d'entre eux viennent gonfler leur clientèle électorale et se rendent peu compte qu'ils scient la branche sur laquelle ils sont assis.


Le choix porte sur des propositions construites par les politiciens eux-mêmes, et par voie de conséquence sur un panel limité de propositions des partis. L'astuce est donc de proposer deux ou trois alternatives dont la plus pertinente, au yeux des concepteurs, sera rendue plus attractive. Cela ferme évidemment la porte à d'autres choix envisageables dont ils ne veulent absolument pas débattre. A titre d'exemple, le referendum, n'est absolument pas débattu alors que ce débat est attendu par le peuple depuis des décennies. Les sondages utilisent notamment la technique du verrouillage des choix. Les questions fermées reçoivent à coup sûr la réponse espérée.


Quand le citoyen arrive dans l'isoloir, Qui choisi en amont les candidats? Les partis bien sûr. Par ailleurs il est impossible d'accorder son suffrage à un candidat gaumais si on est liégeois. Qui a décidé que pour ouvrir une liste, il fallait un certain nombre de signatures, il fallait limiter les candidats sur une même liste, alors que tout citoyen est éligible. Qui a décidé qu'il fallait une parité hommes-femmes, ce qui provoque inévitablement des exclusions. Qui propose les ministres au Roi? Encore les partis… et la liste est longue. Comment se fait-il que des enfants de politiciens connaissent une ascension parfois spectaculaire? Le citoyen pense contrôler son destin en assistant aux diatribes et enjeux politiques. Il pense réfléchir aux problèmes de sociétés.


La démocratie telle que nous la connaissons s'inscrit dans une dynamique de compétition et de sélection qui projette les candidats aux dents longues sous le feu des projecteurs. Ils sont choisis par les partis et lorsqu'ils sont élus, ils n'ont aucun intérêt au changement puisque le système leur est de plus en plus favorable à mesure de leur ascension. Les autres citoyens, les plus nombreux, tirent nettement moins de bénéfice de l'organisation sociale et ont donc tout intérêt à faire changer les choses, mais un jour viendra où ils renverseront l'ordre établi. Comme le disait Karl Marx « l'injustice rend les soulèvements populaires légitimes ». Les évènements récents en Grèce en sont un exemple frappant. Conscients de ce danger, les partis politiques et les élus estiment que l'illusion démocratique est la manière la plus douce et la plus efficace de maintenir le système actuel longtemps encore.
 

Mais la classe dirigeante à abandonné les leviers de décisions économiques aux gros groupes industriels qui, par voie de conséquence, sont devenus les véritables maitres et décideurs du monde. Bien qu'ils ne soient pas élus, leurs décisions ont un impact néfaste sur la vie des populations. Leur pouvoir est de dimension planétaire alors que celui des élus belges bien mince. Le poids financier de la plupart des multinationales est de loin supérieur au PIB(1)de la Belgique. Les partis politiques, malgré le contrôle de leur financement, sont arrosés de manière fort subtile. Nombreuses sont les organisations qui sont de fait au-dessus des lois, qui sont hors la loi.


Le référendum: un défi


Alors que le référendum est l'expression même de la démocratie, la constitution réserve au Parlement et au Roi seuls le pouvoir de décision, et exclut expressément toute autre mode d'exercice de pouvoir (art.33 al.2 de la constitution). Elle privilégie ainsi la démocratie représentative au détriment de la démocratie directe. Pourtant, bien que le référendum ne se base que sur des questions fermées (réponses par oui ou par non), des voix s'élèvent en sa faveur, car il permettrait une évolution bien plus rapide dans des secteurs comme l'Éducation Nationale, l'emploi ou d'autres domaines de la vie sociale.


Il faudrait donc changer la constitution, mais nos représentants ne sont pas chauds pour changer un système dont ils tirent avantage. Organiser un référendum ou une consultation populaire en dehors du cadre de la loi, en marge des institutions officielles serait incontestablement un défi lancé au Pouvoir en place, et pourtant…


La liberté entravée


Je suis étonné de la timidité des acteurs de terrain dans leur combat pour l'emploi. Bien que la liberté d'expression soit un droit fondamental , elle l'est jusqu'à un certain point. Chacun ne peut s''exprimer librement, et ne peut faire connaitre ses idées au public. La liberté d'opinion en publique est soumise à la censure directe (police, interdiction pure et simple, prison) ou indirecte (exclusion, pouvoirs, lois économiques du capitalisme). Il faudrait songer à diffuser largement toutes les idées sur la place publique, même les plus dérangeantes. La liberté d'expression ne se divise pas. Selon Benjamin Franklin, « l'humanité se divise en trois catégories : ceux qui ne peuvent pas bouger, ceux qui peuvent bouger….et ceux qui bougent » et il poursuit « Quiconque sacrifie sa liberté pour plus de sécurité ne mérite ni l'un ni l'autre, et n'aura aucun des deux ». L'époque que nous traversons semble lui donner raison.

 

L'injustice rend les soulèvements populaires légitimes


Récemment, je me suis arrêté auprès d'un artiste de rue qui grattait sa guitare. Parfois trébuchait une piécette au fond de sa gamelle. Comme nous nous trouvons dans la même galère, nous avons vite sympathisé. A peine sur cette terre depuis vingt-cinq années, privé de l'aide du CPAS et de l'ONEM pour de sombres raisons, il ne lui reste que sa musique pour exprimer sa solitude, son désarroi, sa révolte face à un système de plus en plus injuste et de plus en plus indifférent à son devenir. Soudain, il me dit d'une voix fatiguée : « il faudrait une bonne guerre civile ».


Combien sommes-nous à connaitre l'injustice au quotidien, ce fléau qui s'introduit subrepticement dans nos vies nos chaumières, qui favorise le découragement et fait ployé les épaules des plus vigoureux?


D'un naturel optimiste, je lui ai toujours opposé une résistance farouche. Il m'arrive fréquemment de rêver que des masses de révoltés de justice me rejoigne dans mon combat pour le droit au travail, source de bonheur et de prospérité. Las des revers auxquels ils doivent sans cesse faire face, nombreux sont ceux qui n'ont plus l'énergie que donne l'espérance, la Foi qui soulève les montagnes, le punch qui garantit la victoire. La démocratie devrait en principe refléter la volonté des citoyens et permettre à chacun d'eux d'en recueillir les fruits, mais le fossé continue à se creuser entre les assoiffés de pouvoir et les assoiffés de justice.
Les plus pauvres d'entre eux — socialement et culturellement — viennent gonfler votre clientèle électorale et se rendent trop peu compte qu'ils scient la branche sur laquelle ils sont assis.


Conclusion


Lorsqu'on est élu au suffrage universel, on est sensé défendre la démocratie. Est-ce vraiment le cas? De plus en plus de belges en doutent et de moins en moins croient en ses bienfaits. Sir Winston Churchill, sans se départir de son flegme légendaire, déclara que "La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes". Aujourd'hui on dirait: faudra bien faire avec.
Puisqu'il faut bien faire avec, les peuples ont clairement discerné au cours de l'histoire qu'il valait mieux combattre pour leur libération personnelle que pour permettre l'avènement d'une démocratie dont ils n'avaient cure. En tout cas, la démocratie ne vaudrait la peine d'être défendue que si nos libertés, si chèrement payées, pouvaient être pleinement exercées, que si la pensée et l'action, que si le désir et sa concrétisation, n'étaient entravés par aucune force extérieure.


Toutes les démocraties d'Europe sont en train de se suicider, et personne ne semble en prendre conscience. Messieurs les députés, de nombreux défis vous submergent , les uns plus valorisants que les autres, et vous seuls avez le pouvoir de les relever. En avez-vous seulement la volonté? Il est temps de réagir et de redéfinir les priorités en ce posant la vraie question: 

 

Qu'attendent nos électeurs

en termes de comportement, 

de réflexion et d'action?


Paul THUNISSEN

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